© 1999 Bernard SUZANNE (bfsuzan@ibm.net) Dernière mise à jour le 11 avril 1999
Platon et ses dialogues : Page d'accueil - Biographie - Oeuvres et liens vers elles - Histoire de l'interprétation - Nouvelles hypothèses - Plan d'ensemble des dialogues. Outils : Index des personnes et des lieux - Chronologie détaillée et synoptique - Cartes du monde grec ancien. Informations sur le site : À propos de l'auteur
Tétralogies : Page d'accueil de la République - Page d'accueil de la 4ème tétralogie - Texte du dialogue en grec ou en anglais à Perseus

La république
(4ème tétralogie : L'âme - 2ème dialogue de la trilogie)

L'allégorie de la caverne
(Traduction (1) Bernard SUZANNE, © 1999)
(la version la plus récente de cette page est accessible en cliquant ici)

[514a] (2) "Eh bien :! après celà, dis-je (3), représente-toi ainsi la manière dont est affectée notre nature par l'éducation et le manque d'éducation. Figure-toi donc les hommes comme dans une demeure souterraine en forme de caverne, la caverne ayant l'entrée ouverte à la lumière sur toute sa longueur, dans laquelle ils sont depuis l'enfance, les jambes et le cou dans des chaînes pour qu'ils restent en place et [514b] voient seulement devant eux, incapables donc de tourner la tête du fait des chaînes ; et encore la lumière sur eux, venant d'en haut et de loin, d'un feu brûlant derrière eux ; et encore, entre le feu et les enchaînés, une route sur la hauteur, le long de laquelle figure-toi qu'est construit un mur, semblable aux palissades placées devant les hommes par les faiseurs de prodiges, par dessus lesquels ils font voir leurs prodiges.
Je vois, dit-il
Eh bien vois maintenant le long de ce mur des hommes portant
[514c] en outre des ustensiles de toutes sortes dépassant du mur, ainsi que des statues d'hommes [515a] et d'autres animaux de pierre et de bois et des ouvrages variés ; comme il se doit, certains des porteurs font entendre des sons (4) tandis que d'autres sont silencieux.
Étrange, dit-il, l'image que tu décris, et étranges enchaînés !
Semblables à nous, repris-je ; ceux-ci en effet, pour commencer, d'eux-mêmes et les uns des autres, penses-tu qu'ils aient pu voir autre chose que les ombres projetées par le feu sur la partie de la caverne qui leur fait face ?
Comment donc, dit-il, s'il est vrai qu'ils sont contraints de garder la tête immobile
[515b] toute leur vie ?
Et qu'en est-il des objets transporté ? N'en est-il pas pour eux ainsi ?
Quoi donc ?
Eh bien ! sans doute, s'ils étaient capables de dialoguer entre eux, ne crois-tu pas qu'à cause de cela, ils prendraient pour les êtres proprement dits cela même qu'ils voient ?
Nécéssairement.
Et quoi encore si de plus la prison produisait un écho en provenance de la partie leur faisant face ? Chaque fois qu'un des passants ferait entendre un son, penses-tu qu'ils pourraient croire que le son entendu vient d'ailleurs que de l'ombre qui passe ?
Par Zeus, certes non !
[515c] Très certainement, repris-je, ceux-là ne pourraient penser que le vrai est autre chose que les ombres des objets confectionnés.
De toute nécessité, dit-il.
Examine maintenant, repris-je, leur délivrance et leur guérison des chaînes et de l'ignorance : qu'en serait-il, si par nature
(5) il leur arrivait ce que voici ? Pour peu que l'un d'entre eux soit délivré et contraint subitement à se lever et aussi à tourner le cou et à marcher et à lever les yeux vers la lumière, et qu'alors même qu'il fait cela, il éprouve de la douleur et soit en outre incapable, du fait des scintillements de la lumière, de contempler ce dont [515d] auparavant il voyait les ombres, que penses-tu qu'il dirait si quelqu'un lui disait qu'auparavant il voyait des balivernes (6) alors que maintenant, un peu plus proche de ce qui est et tourné vers des choses qui ont plus d'existence, il voit plus juste, et si de plus, lui montrant chacune des choses qui passent devant lui, on le contraignait en le questionnant à répondre en disant ce que c'est ? Ne penses-tu pas qu'il serait dans l'embarras et qu'il croirait les choses qu'il voyait auparavant plus vraies que celles qu'on lui montre maintenant ?
Et même de beaucoup ! dit-il.
[515e] Et si donc en outre on le contraignait à regarder vers la lumière elle-même, que ses yeux lui feraient mal et qu'il se déroberait en se retournant vers ce qu'il est capable de contempler, et qu'il prendrait cela pour réellement plus clair que ce qu'on lui montre ?
C'est ça, dit-il.
Si alors, repris-je, quelqu'un le tirait de là de force à travers la montée rocailleuse et escarpée, et ne le lâchait pas avant de l'avoir tiré dehors à la lumière du soleil, est-ce qu'il ne s'affligerait pas
[516a] et ne s'indignerait pas d'être violenté, et, quand il serait arrivé à la lumière, ayant les yeux pleins de l'éclat du soleil, ne pourrait rien voir de ce que nous appelons maintenant vrai ?
Probablement pas, dit-il, du moins pas tout de suite.
C'est donc l'habitude, je pense, qu'il lui faudrait pour en arriver à voir éventuellement les choses d'en haut. Et tout d'abord ce sont sans doute les ombres qu'il contemplerait le plus facilement, puis après cela les images dans l'eau des hommes et des autres chose, puis enfin cela même ; à partir de là, ce qui est dans le ciel et le ciel lui-même, il pourrait les observer, plus facilement sans doute de nuit, regardant en face la
[516b] lumière des astres et de la lune, que de jour le soleil et celle du soleil.
Comment donc en serait-il autrement ?
A la fin certes, je pense, c'est le soleil, non pas ses images sans consistance dans l'eau ou dans quelque autre place, mais lui-même tel qu'en lui-même dans son propre lieu, qu'il pourrait contempler et examiner tel qu'il est.
Nécessairement, dit-il.
Et après cela, il en concluerait bientôt à son sujet que c'est lui qui produit les saisons et les années et qu'il gouverne tout
[516c] ce qui est dans le domaine visible, et de tout ce qu'eux-mêmes voyaient en quelque sorte cause.
C'est évident, dit-il, qu'après cela, il en viendrait à ces conclusions !
Et quoi encore ? Se ressouvenant de sa première demeure et de la sagesse de là-bas et de ses compagnons de chaînes d'alors, ne penses-tu pas que, pour lui, il serait heureux du changement et qu'eux par contre, il les prendrait en pitié ?
Tout à fait !
Et puis, les marques d'honneur et les louanges, si certaines avaient cours alors entre eux, et les prérogatives accordées au plus pénétrant dans l'examen de ce qui défilait, et se souvenant le mieux de ce qui avait coutume de passer en premier, ou en dernier,
[516d] ou ensemble, et donc pour cela le plus capable de prédire ce qui allait arriver, crois-tu qu'il en aurait encore le désir et qu'il envierait ceux d'entre eux qui étaient honorés et investis du pouvoir, ou qu'il éprouverait le même sentiment que dans Homère et préférerait mille fois "être un cultivateur au service d'un autre homme sans ressources" (7) et souffrirait n'importe quoi plutôt que cette manière de penser et cette vie là ?
[516e] C'est ça., dit-il, je le pense moi aussi : tout souffrir plutôt que de se résigner à cette vie là !
Et maintenant, réfléchis à ceci, repris-je. Si celui-ci redescendait
(8) pour reprendre sa place sur son siège, est-ce qu'il n'aurait pas les yeux souillés par les ténèbres, venant tout à coup du soleil ?
Tout à fait certes, dit-il.
Et alors ces ombres, si de nouveau il lui fallait lutter ardemment dans ses opinions sur elles avec ceux qui ont toujours été enchaînés, au moment où il a la vue faible,
[517a] avant que ses yeux ne soient rétablis --et le temps de se réhabituer ne serait pas bref, tant s'en faut ! --ne prêterait-il pas à rire et ne dirait-on pas de lui que, pour être monté làr;-haut, il en revient les yeux endommagés, et que ça ne vaut vraiment pas la peine d'essayer d'aller là-haut ? Et celui qui entreprendrait de les délivrer et de les faire monter, si tant est qu'ils puissent le tenir en leurs mains et le tuer, ne le tueraient-ils pas ?
Et comment donc ! dit-il."

La République, livre VII

(1) Cette traduction, plus que l'élégance, a cherché la fidélité au texte grec. Chaque fois que possible, j'ai conservé l'ordre des mots grecs et essayé de traduire toutes les particules dont le grec est friand. J'ai aussi essayé de traduire, en particulier dans les réponses et dans les expressions induites par le style indirect du dialogue, la même expression grecque par la méme expression française chaque fois qu'elle revenait, au risque d'une monotonie qui est dans le texte dePlaton. (retour)

(2) Les références aux pages de l'édition Estienne sont celles fournies par l'édition des Platonis Opera , Oxford Classical Texts. Chaque référence fournit un lien vers le text grec correspondant au site Perseus. (retour)

(3) C'est Socrate qui parle à Glaucon, l'un des frères de Platon qui lui sert d'interlocuteur dans la conversation racontée par la République. Toute la République est un long monologue de Socrate racontant à un ou plusieurs interlocuteurs qui ne sont pas nommés une conversation qu'il a eue la veille au soir, ce qui explique les "dis-je", "dit-il" et autres formules qui reviennent presque à chaque réplique. (retour)

(4) Le verbe phtheggesthai utilisé ici a le sens très général de "faire entendre un son, du bruit", et peut s'appliquer non seulement aux hommes, mais aussi aux animaux et à tout ce qui peut émettre un son. Il peut entre autre vouloir dire "parler", mais ce n'est pas le terme usuel pour cela. (retour)

(5) Le mot utilisé ici est phusei. Il est intéressant de noter que le processus qui va être décrit dans la suite, s'il requiert l'intervention d'un "éducateur", prend néanmoins appui sur la "nature (phusis)". En fait, les tournures grecques utilisées dans la suite sont le plus souvent impersonnelles, utilisant des passifs, des propositions infinitives et des participes. Ce n'est qu'en 516e que la "force physique (bia)" intervient pour trainer le prisonnier dehors, supposant sans équivoque l'intervention de quelqu'un d'autre. (retour)

(6) Le mot utilisé ici, phluariai, concerne au sens premier des paroles vaines plutôt que des choses qui se voient. Peut-être faut-il y voir une allusion au fait que les mots eux-mêmes ne sont que des ombres, des images, que "considère", que "contemple" notre pensée. (retour)

(7) Homère, Odyssée, XI, 489-90. (retour)

(8) Pour éviter d'accréditer l'image d'un Platon retiré dans sa tour d'ivoire et contemplant un ciel d'idées pures loin du bruit et de la fureur de la cité alentour, il est important de noter que l'allégorie ne finit pas au sommet de la colline dans la contemplation du soleil, mais continue par le retour dans la caverne au risque de sa vie !... (retour)


Platon et ses dialogues : Page d'accueil - Biographie - Oeuvres et liens vers elles - Histoire de l'interprétation - Nouvelles hypothèses - Plan d'ensemble des dialogues. Outils : Index des personnes et des lieux - Chronologie détaillée et synoptique - Cartes du monde grec ancien. Informations sur le site : À propos de l'auteur
Tétralogies : Page d'accueil de la République - Page d'accueil de la 4ème tétralogie - Texte du dialogue en grec ou en anglais à Perseus

Dernière mise à jour le 11 avril 1999
© 1999 Bernard SUZANNE (bfsuzan@ibm.net) (cliquez sur le nom pour envoyer vos commentaires par courrier électronique)
Toute citation de ces pages doit inclure le nom de l'auteur et l'origine de la citation (y compris la date de dernière mise à jour). Toute copie de ces pages doit conserver le texte intact et laisser visible en totalité ce copyright.